Actualités voyage

Thaïlande : comment The White Lotus booste le tourisme de luxe et amène son lot de questionnement

Publié le

Rédigé par Salomé

Avec sa troisième saison désormais installée dans les paysages idylliques de la Thaïlande, la série The White Lotus ne se contente pas d’offrir une satire mordante du tourisme de luxe. Elle devient, pour le pays, un outil stratégique de promotion touristique — mais aussi un révélateur des inégalités qui structurent le secteur.


Une vitrine mondiale pour le tourisme thaïlandais

Après Hawaï et la Sicile, c’est au tour de la Thaïlande d’accueillir les caméras de Mike White, créateur de The White Lotus. Diffusée depuis le 17 février sur HBO Max (et disponible sur myCanal), cette troisième saison s’inscrit dans une logique bien rodée de “set-jetting” — ce phénomène où les spectateurs choisissent leur prochaine destination de vacances en fonction de lieux vus à l’écran.

« Je crois qu’il y a eu plus de 20 % d’augmentation des visites à Hawaï et en Sicile après les saisons 1 et 2 », a déclaré Chompu Marusachot, directeur du bureau new-yorkais de l’Autorité du tourisme de Thaïlande. Et l’effet semble déjà enclenché : selon le New York Times, les recherches pour la Thaïlande sur Expedia ont bondi de 50 % dès la diffusion de la bande-annonce.

Certaines agences de voyages évoquent une véritable ruée. L’agence Fora, par exemple, a vu ses réservations grimper de 312 % en janvier. « J’ai récemment reçu un nouveau couple de clients qui m’a dit : “Nous avons entendu dire que The White Lotus se déroulera en Thaïlande la saison prochaine. Pouvez-vous nous réserver la même station avant qu’elle ne devienne trop populaire ?” », rapporte Rabia Malik, conseillère de voyage pour Fora, pour le média Bloomberg.

Une stratégie assumée de soft power

La série n’est pas qu’un coup de chance pour les autorités thaïlandaises : elle s’inscrit dans une stratégie de long terme, à l’instar d’autres projets récents comme The Blue Jasmine. En partenariat avec l’hôtel Four Seasons de Koh Samui et l’Autorité du Tourisme de Thaïlande, la production a bénéficié d’un allègement fiscal de 4,4 millions de dollars — un incitatif décisif qui a permis de faire pencher la balance en faveur de la Thaïlande plutôt que du Japon.

« Si nous savons que les films et séries influencent souvent les choix de voyage, nous voyons surtout cette opportunité comme un moyen de faire découvrir la diversité et l’authenticité de la Thaïlande », s’est félicité Suriya Sitthichai, directeur de l’Office National du Tourisme de Thaïlande. L’objectif est clair : positionner le pays comme une destination de luxe incontournable tout en stimulant la reprise post-Covid.

À LIRE ÉGALEMENT :  L'affluence touristique en forte baisse à Santorin cet été entraine une chute des prix pour les visiteurs

Dans ce cadre, les autorités n’ont pas lésiné sur les moyens : campagnes publicitaires massives, création d’un terminal pour jets privés, ouverture de marinas pour superyachts et mise en avant de séjours haut de gamme via le programme Visit Thailand : Amazing New Chapters.

Koh Samui est le cadre de la saison 3 – Crédits Freepik

Un modèle qui interroge

Mais ce virage assumé vers le tourisme de luxe ne va pas sans poser des questions. Car derrière les images glamour de la série, se cache une réalité socio-économique plus sombre.

En Thaïlande, le tourisme – qui a performé particulièrement en 2024 – représente près de 10 % des emplois. Mais il a aussi accentué les inégalités dans un pays où 5 % de la population possède 80 % des terres. Par ailleurs, la pandémie a également aggravé ces déséquilibres. De nombreux petits hôteliers, étranglés par la crise, ont été contraints de vendre à perte, ouvrant la voie à une concentration du marché entre les mains des grands groupes. Aujourd’hui, les projets d’hôtels de luxe se multiplient : Accor prévoit 17 nouvelles ouvertures d’ici 2026, Intercontinental veut doubler son portefeuille et Wyndham vise une croissance de 68 % sur le territoire.

À Phuket, les établissements haut de gamme représentent désormais près de la moitié de l’offre hôtelière, contre à peine 8 % pour les hébergements économiques.

Entre promotion et mise en garde

C’est là toute l’ambiguïté de The White Lotus. Si la série permet indéniablement de redorer l’image du pays auprès d’une clientèle internationale fortunée, elle offre aussi, dans le même mouvement, une critique acérée de ce modèle. Car les privilèges mis en scène à l’écran — chambres à plusieurs milliers d’euros, catamarans privés, personnel corvéable — sont le miroir d’un monde profondément inégal.

Le tourisme de luxe peut-il être un levier durable de développement ? Ou bien risque-t-il, à terme, de creuser davantage les inégalités, en captant les ressources au profit d’une minorité ? La Thaïlande, qui vise toujours les 40 millions de visiteurs annuels atteints avant la pandémie, devra sans doute composer avec ces tensions.

En attendant, The White Lotus continue de fasciner. Et les plages thaïlandaises, déjà bien connues, s’apprêtent à accueillir un nouveau flot de touristes… inspirés par la fiction, mais bien réels.