Tourisme durable

L’Île-de-Bréhat face au surtourisme : un quota de visiteurs pour protéger un joyau breton

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Rédigé par Salomé

Sur l’Île-de-Bréhat, dans les Côtes-d’Armor, la lutte contre le surtourisme prend un nouveau visage : pour la deuxième année consécutive, un quota journalier de visiteurs a été instauré. Objectif ? Préserver un écosystème fragile sans étouffer l’activité touristique.


Une jauge fixée à 4 700 visiteurs par jour

C’est un petit morceau de granit rose posé au large de Paimpol, à dix minutes de bateau du continent. L’Île-de-Bréhat, surnommée « l’île aux fleurs » pour ses agapanthes et autres plantes ornementales qui la parent chaque été, attire de longue date vacanciers, randonneurs et curieux. Mais le succès a un prix : celui d’une fréquentation estivale de plus en plus difficile à gérer, autant pour l’environnement que pour les habitants.

Depuis juillet 2023, la municipalité a pris une décision rare pour une commune insulaire française : instaurer un quota de 4 700 visiteurs par jour, applicable en semaine, entre 8h30 et 14h30, pendant un mois au cœur de l’été. Un arrêté municipal précise que cette mesure vise à « protéger le patrimoine naturel fragile et à améliorer l’expérience des visiteurs ». Bien que la jauge reste relativement haute, elle constitue une réponse aux pics observés ces dernières années — jusqu’à 6 000 visiteurs par jour en 2021, au sortir de la crise sanitaire.

Une île sous pression l’été

L’Île-de-Bréhat, qui ne compte que 400 habitants à l’année, voit sa population se multiplier par dix en haute saison si l’on ajoute résidents secondaires et visiteurs à la journée. Or, la surface de l’île — 3 km² — rend cette concentration humaine problématique.

Dans les ruelles étroites, sans voiture mais avec une forte circulation de vélos, de piétons, de tracteurs municipaux et du petit train touristique surnommé Taxîle, il devient parfois difficile de circuler. « La flore est surpiétinée, certains cueillent des plantes sauvages, et les oiseaux, comme les gravelots, sont dérangés pendant la période de nidification », explique Thierry Amor, chargé de mission pour l’association Bretagne Vivante.

Des habitants partagés, des commerçants inquiets

La mesure a été soutenue par 84 % des habitants permanents de l’île, selon un sondage mené par la mairie en 2022. Beaucoup voient dans ce quota un début de réponse à la saturation estivale, et une manière de retrouver un certain équilibre. Vony, maraîchère bio installée sur l’île, estime que « le quota est une bonne chose, même s’il est trop élevé pour avoir un réel impact ». Sa collègue saisonnière Juliette, elle, se dit mal à l’aise d’être regardée comme « une curiosité » par les touristes lorsqu’elle travaille dans les champs.

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Côté commerçants, le discours est plus nuancé, voire critique. Plusieurs d’entre eux pointent les effets contre-productifs d’une médiatisation jugée alarmiste : « Le quota n’a été dépassé que trois fois l’an dernier, mais la publicité autour fait fuir les gens », déplore un vendeur. Une commerçante souligne que l’activité touristique est déjà en baisse en 2024, en raison d’une météo capricieuse et d’un contexte économique tendu. « On s’attend à 40 % de baisse en consommation cet été. »

Un équilibre fragile

L’économie de l’île repose moins sur le tourisme qu’on pourrait le croire. Selon Thierry Amor, interrogé par Reporterre, « les trois quarts des commerçants vivent sur le continent et font leur chiffre d’affaires sur deux mois dans l’année ». L’hiver, Bréhat devient quasi déserte. Ce sont surtout les résidences secondaires, parfois estimées à plusieurs millions d’euros, qui structurent le tissu économique local.

Le géographe Rémy Knafou, spécialiste du tourisme et auteur de Réinventer le tourisme, voit dans cette régulation une tentative de compromis. « C’est une mesure paradoxale. Les commerçants dépendent des visiteurs, mais l’expérience touristique se dégrade quand il y a trop de monde », résume-t-il.

Un tourisme à repenser

La solution idéale ? « Venir en dehors des périodes de pointe », suggère Thierry Amor. Le printemps et le mois de septembre permettent de découvrir l’île dans une ambiance plus apaisée, sans renoncer à sa beauté. Augmenter le prix des vedettes ou du parking serait, selon lui, une erreur : cela créerait un tourisme élitiste. Mieux vaut, dit-il, abaisser la jauge à 3 000 ou 4 000 personnes par jour, tout en encourageant une visite plus étalée dans le temps.

L’Île-de-Bréhat, classée site naturel depuis 1907, cherche à préserver ce qui fait son charme : une nature préservée, un rythme doux, une déconnexion rare. Le quota mis en place, s’il reste perfectible, symbolise une prise de conscience nécessaire face à un modèle touristique qui, ailleurs, montre ses limites. Entre habitants attachés à leur tranquillité, commerçants dépendants de l’affluence et visiteurs en quête d’authenticité, l’équilibre reste fragile — mais la voie du dialogue et de la régulation est désormais ouverte.