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L’Ouzbékistan face à l’essor du tourisme : entre développement et risque de surtourisme

Publié le

Rédigé par Romane

Depuis quelques années, l’Ouzbékistan connaît un essor touristique fulgurant. Porté par une politique ambitieuse du gouvernement, le pays s’impose comme une destination phare de l’Asie centrale. Cependant, cet engouement croissant n’est pas sans conséquences. La forte affluence de visiteurs et les projets d’infrastructures touristiques massifs soulèvent des inquiétudes quant à la préservation du patrimoine et à l’impact sur la population locale.


Une croissance spectaculaire du tourisme

L’Ouzbékistan, pays au riche passé sur la route de la soie, attire de plus en plus de voyageurs en quête de culture et d’authenticité. Avec 6,6 millions de visiteurs en 2023, 7,3 millions de touristes internationaux de janvier à novembre 2024, et un objectif ambitieux de 15 millions d’ici 2030, le pays investit massivement pour moderniser ses infrastructures. L’aéroport international de Samarkand, inauguré en 2022, témoigne de cette volonté d’expansion, tout comme la création de « clusters touristiques » regroupant hébergements, restaurants et attractions dans des complexes intégrés.

Le gouvernement, sous l’impulsion du président Shavkat Mirziyoyev, voit dans cette dynamique une opportunité économique majeure. La montée de l’Ouzbékistan à la 78e place du Travel and Tourism Development Index du Forum économique mondial illustre cette progression fulgurante.

L’ombre du surtourisme et des transformations urbaines

Cependant, cet essor s’accompagne d’effets secondaires qui inquiètent les experts du patrimoine. Dans des villes emblématiques comme Boukhara et Khiva, les constructions d’hôtels et de complexes touristiques s’accélèrent. À Samarkand, le projet Silk Road Samarkand, souvent décrit comme un « Disneyland ouzbek », transforme radicalement l’expérience de visite.

À Boukhara, un projet controversé baptisé « Eternal Bukhara » suscite de vives réactions. Situé en périphérie de la vieille ville, ce complexe de 33 hectares prévoit des hôtels de luxe, des centres culturels et un espace commercial moderne. Or, selon Svetlana Gorshenina, membre de l’association Alerte Héritage, « Nous assistons à une transformation des villes en musées à ciel ouvert, conçus uniquement pour les touristes » dans un article de la BBC.

Un architecte ouzbek anonyme partage cette inquiétude : « Chaque année, il y a de plus en plus de touristes. J’ai toujours vu Boukhara comme un organisme vivant, mais cet organisme devient fragile. Elle risque de devenir une Venise dans le désert. »

Le Mémorial des Victimes de la Répression à Tashkent – Crédits Marya83

Entre sauvegarde du patrimoine et développement économique

Le risque de dénaturer l’authenticité de l’Ouzbékistan est bien réel. De nombreux habitants des centres historiques ont été déplacés pour laisser place à des infrastructures modernes. À Khiva, par exemple, certaines maisons traditionnelles en terre ont été démolies pour construire des hôtels conformes aux standards internationaux. Les bazars de Boukhara, autrefois réputés pour leurs soieries et objets artisanaux, sont désormais remplis de produits importés et standardisés.

Malgré ces inquiétudes, le gouvernement se veut rassurant. Rustam Khaydarov, directeur adjoint de la société Enter Engineering en charge du projet Eternal Bukhara, affirme à la BBC : « Nous ne voulons pas répéter l’histoire, mais créer quelque chose qui aura son propre impact. Ce sera un projet social, pas seulement commercial. Nous allons créer au minimum 15 000 emplois. »

Unesco et la question de la préservation

Le rôle de l’Unesco est également scruté de près. Si le projet Eternal Bukhara n’est pas situé dans la zone classée patrimoine mondial, il se trouve dans une « zone tampon », nécessitant une validation de l’organisation avant toute modification urbaine. Pourtant, les démolitions ont déjà commencé, soulevant des interrogations sur l’influence réelle de l’Unesco dans la protection du patrimoine ouzbek.

Alors que le pays continue d’attirer les voyageurs et d’investir massivement dans son développement touristique, l’avenir de son patrimoine historique et de son identité culturelle est en jeu. Trouver un équilibre entre modernisation et préservation sera un défi crucial pour les années à venir.